L'élection sans candidat, un remède pour la démocratie ?
J’ai rédigé cet article cet été. J’ai conservé les phrases et la temporalité de ce moment même si je publie l’article maintenant fin 2024.
Pourquoi cet article ?
Que ce soit au niveau d’un pays, d’une organisation ou d’une communauté, la question de l’exercice démocratique via une élection de représentants est un challenge.
Nous en avons eu une belle preuve lors de la dissolution de l’Assemblée Nationale avec les choix du Président de la République de :
- nier la nouvelle répartition du pouvoir à l’Assemblée Nationale, image représentative des souhaits actuels des français.e.s
- refuser de nommer un nouveau Premier Ministre, conservant de cette manière son homologue démissionnaire provenant de son bord politique.
Les enjeux individuels de pouvoir ou de reconnaissance prennent l’avantage sur les enjeux collectifs.
Que peut-on faire pour changer cela ?
Nous verrons que le principe de l’élection sans candidat est une possibilité attractive. Nous l’avons testé chez Aneo au niveau d’une communauté et cela pourrait s’étendre à d’autres parties de l’organisation.
Nous verrons aussi que le résultat attendu n’est pas garanti et qu’il y a des garde fous à mettre en place pour garantir le processus démocratique et représentatif. Nous nous interrogerons enfin sur l’application de ce processus à l’élection de premier ministre en France.
Constat, l’exercice de la démocratie représentative bafouée
Aneo est une organisation aplatie. Il existe en son sein une Communauté Agile que l’on cherche à rendre autonome, engagée, dynamique et vivante.
Le résultat que l’on a pu observer en 2023 est qu’il y a peu d’engagement, peu de résultats collectifs et lorsqu’il y a des résultats ils ne sont pas au bénéfice de tout le monde. On a constaté une dispersion de l’effort des membres qui, naturellement, font ce qui leur fait plaisir individuellement.
On a pris conscience que le leader de communauté était choisi de manière plus ou moins autocratique par les personnes influentes de l’organisation et non par choix collectif.
De ce fait, cette personne obtient une légitimité grâce à son expertise et la délégation d’autorité mais possède rarement le leadership nécessaire pour entrainer un groupe de personnes ni pour motiver les personnes à collaborer sur les projet communs et atteindre des objectifs collectifs.
Cette prise de conscience chez Aneo fait écho à ce qui se passe à l’Assemblée Nationale depuis les élections législatives du mois de juillet 2024 en France.
On retrouve les mêmes observations dans l’exercice du pouvoir : pas d’objectifs communs et rassembleurs, des premiers ministres dont le rôle est plutôt de coordonner la vision de société du Président, autoritaire et tout puissant et une assemblée nationale morcelée par des points de vue différents.
On peut expliquer les difficultés de créer des coalitions avec un but rassembleur par les différences de vision de société des partis qui ne veulent pas se mettre d’accord.
On peut aussi expliquer ces difficultés par la mécanique ‘the winner takes it all’ très française qui permet au parti gagnant d’être momentanément tout puissant, forcant les autres partis à se mettre en opposition et qui, de fait, pousse la partie de la population non-représentée à se radicaliser (les gilets jaunes par exemple).
La situation actuelle est exceptionnelle car aucun parti n’est majoritaire et chaque initiative à proposer un ou une premier ministre est bloquée par les autres partis. Nous voyons aussi que bien que la coalition NFP possède une majorité relative, le président Français actuel ne souhaite pas reconnaitre cette coalition comme gagnante et comme un souhait de la population d’un changement de direction des politiques publiques.
Article du Monde du 5 Aout. Un déni de la démocratie, un choix d’autocratie.
Bref, que ce soit au niveau d’une communauté ou d’un pays, existe-t-il des alternatives au processus d’élection actuel qui redonnerait sa place et sa raison d’être à la démocratie, la souveraineté par le plus grand nombre ?
Élection sans candidat au niveau d’une communauté
Pour corriger le problème de leadership et d’engagement décrit dans le premier paragraphe, la communauté Agile expérimente depuis le début de l’année 2024 le processus d’élection sans candidat pour faire émerger un rôle de leader de la communauté par les membres eux même plutôt que par un processus subjectif, autocratique et implicite.
Issue de la sociocratie sur le thème de la gouvernance partagée, l’élection sans candidat se déroule par consentement plutôt que par consensus.
L’avantage de ce mode de prise de décision est qu’il n’est pas nécessaire d’être d’accord avec la proposition qui est faite, il suffit d’être à l’aise avec cette proposition et de comprendre qu’elle sera bonne pour le groupe plutôt que pour soit. Cette pratique comporte des difficultés qui sont abordés plus loin dans l’article.
Dans la communauté agile d’Aneo, cette élection a lieu tous les 6 mois pour permettre aux membres élu.e.s d’avoir du temps pour avoir un impact et aussi pour limiter la possibilité de prendre et garder le pouvoir.
3 personnes sont élues pour garantir de la mixité dans l’exercice de ce pouvoir et une personne est conservée d’une élection à l’autre pour garantir la conservation de l’histoire de la communauté sur le temps long.
Ces personnes élues ont un mandat clair co-construit par les membres du cercle et ont toute la légitimité pour faire avancer la communauté.
Le partage de ce pouvoir donne la possibilité à de jeunes membres de la communauté d’exercer une influence qu’il est difficile d’obtenir d’une manière plus traditionnelle, ce qui les fait grandir.
En retour la communauté bénéficie de leur dynamisme, d’une vision du monde plus moderne et qui oblige parfois à repenser nos modèles de fonctionnement.
los problemos
Il y a cependant quelques difficultés qu’il est nécessaire de dépasser, notamment celle d’obtenir le consentement formel de tous les participant.e.s car nous ne sommes pas habitués à ne pas décider.
C’est un sentiment particulier de participer à une décision collective sans décider personnellement, uniquement consentir. Cela demande une maturité des membres qui s’acquiert uniquement par de la pratique et de la prise de recul en groupe. Cette pratique demande un temps au départ pour la comprendre et gérer les interactions parasites qui peuvent émerger.
Le second obstacle est paradoxalement la liberté donnée aux participants lors de la phase d’objection. Cette liberté autorise les participants à refuser une proposition.
Le besoin de clarté sur la définition d’une objection est donc capital et il faut être prêt à réexpliquer et challenger les objections qui pourraient cacher une préférence ou une contre-proposition.
Le rôle d’une personne facilitatrice est essentiel pour qu’une élection sans candidat soit réussie.
Points clé d’une élection sans candidat réussie
En synthèse les critères clés pour réussir une élection sans candidat sont :
- Les participants sont prêts à accepter de faire des concessions personnelles pour le bien commun
- Le mandat qui sera donné et l’objectif de l’élection sont clairs
- La personne responsable de la facilitation est expérimentée
Peut-on appliquer les mêmes principes à l’Assemblée Nationale ?
Avant toute chose, que cherche-t-on réellement à faire en choisissant un premier ministre (PM) ?
Le PM dirige l’action du gouvernement et assure l’exécution des lois. Il est nommé par le Président de la République et engage devant l’Assemblée Nationale la responsabilité du Gouvernement qui a le pouvoir, via une motion de censure, de le démettre.
Les règles du jeu conduisent naturellement le Président de la République à nommer un Premier Ministre susceptible de constituer un gouvernement stable dans le temps, en cohérence avec une majorité des député.e.s pour éviter la motion de censure.
On cherche donc à trouver la personne qui a les meilleures compétences et qui est légitime à représenter le plus grand nombre dans l’exercice du pouvoir et faire avancer la société.
C’est exactement ce qui est recherché par une élection sans candidat.
Dans l’absolu c’est possible
Une élection sans candidat pour choisir un Premier Ministre ne remet pas en cause les règles de la Constitution et peut donc tout à fait s’appliquer.
Pour que cela fonctionne, il semble toutefois incontournable d’ajouter des règles du jeu supplémentaires qui n’existe pas dans le processus de choix du Premier Ministre :
- que tous les participants acceptent la recherche d’un projet commun par consensus : trouver des éléments d’accord qui viennent de tous les bords plutôt que chercher à imposer UNE vision partisane
- clarifier et/ou rappeler le rôle et les compétences attendus de la personne qui sera élue et rendre transparent la procédure de prise de décision et de consentement en la rendant publique
- le choix élargi au-delà des participants et l’organisation d’un réel dialogue entre les groupes parlementaires pour identifier les compétences attendues, ce qui ferait émerger l’identification de personnes potentiellement premier ministrable au-delà des député.e.s, participant.e.s à l’élection.
- La volonté du Président de la République d’accepter que l’Assemblée Nationale propose un Premier Ministre et non l’inverse.
Dans la pratique c’est difficilement envisageable actuellement :
La France possède une culture d’opposition qui semble difficilement compatible avec les éléments de succès listés précédemment.
- Les partis politiques ont des enjeux de société qui existent autant pour eux que pour les personnes qu’ils représentent. Ils ont des intérêts à démontrer qu’ils se battent pour ces enjeux et uniquement ceux-là.
- Les parties aux extrêmes ont des visions de société qui empêchent concrètement de trouver un accord de consensus car ils sont parfois opposés à la mécanique même de la constitution.
- La volonté de travailler ensemble et rendre transparente la politique française est une utopie aujourd’hui. Le flou dans les jeux politiques entre partis est un bénéfice qu’il semble difficile à lâcher.
La clé d’une entente transpartisane pourrait être la prise de conscience des enjeux de survie de l’humanité face au dérèglement climatique.
Compte tenu des faibles actions engagées actuellement pour endiguer les effets du dérèglement climatique, c’est un scénario que nous aurons bientôt l’occasion d’observer.
Pour aller plus loin sur la gouvernance partagée
Voici des ressources complémentaires utilisables directement
- Une explication en vidéo du déroulé d’une élection sans candidat ;
- La page Gouvernance partagée de l’Université du Nous ;
- Une forme hybride d’élection sans candidat avait été tentée par les partis de gauches pour désigner une seule personne candidate à l’élection présidentielle de 2022.
- La photo d’illustration de cet article a été prise par Tara Winstead