Changements et résolution de problèmes

Le 31 August 2020

tout-va-bien.jpg « Tout va bien » – Rachel Marks

Imaginons une équipe, une poignée d’équipes, une organisation.

Imaginons les personnes qui les composent, les managers qui les accompagnent et les dirigent.

Tous sont mus par la volonté de bien faire leur métier et les décisions qu’ils prennent se basent sur leurs expériences, leurs croyances, leurs peurs, leur moteur interne. Bref la vraie vie.

Intéressons-nous uniquement à une de ces équipes qui rencontre un problème.

Problème et symptôme

Lorsque cette équipe rencontre un problème, elle s’intéresse généralement à un symptôme de ce problème c’est à dire ce qui se voit et ce qui, concrètement, est un soucis, une épine dans le pied.

Prenons quelques exemples IT qui serviront d’illustrations au fil de cet article : en fin de développement, il y a des bugs qui empêchent de livrer dans les temps, une personne se braque dès qu’elle entre en conflit avec un collègue ou son chef, les applications développées engendrent des coûts de maintenance de plus en plus importants alors qu’elles ont été livrées voilà un an ou deux.

Pour qu’il y ai moins de bug, une solution souvent employée c’est de tester plus, plus longtemps et de formaliser mieux (comprendre plus) l’expression du besoin et la solution. Pour que la personne « braquée » parle, son manager va la forcer à parler, la provoquer ou tenter de la convaincre que c’est pour son bien si elle parle. Enfin on décide de lancer une « refonte » pour supprimer l’ancienne application qui coute cher en maintenance.

Les problèmes qui ont bénéficié d’une correction sont en réalité des symptômes. Tester plus longtemps ne fera pas disparaitre la production de bug, obtenir une réponse après avoir « coincé » un collaborateur ne fait pas de ce collaborateur quelqu’un qui s’exprime facilement face au conflit, et enfin les refontes nous le savons tous s’enchainent les une derrière les autres et ne s’arrêtent jamais.

On a traité un symptôme, mais le problème de fond persiste. Le résultat, quelle que soit la solution qui a été tentée, reste invariant : le problème est toujours là et un symptôme réapparaitra sous une forme ou une autre.

pb-complexe.png Un problème, plusieurs effets. Ce que l’on perçoit est partiel.

La raison principale de ce constat est simple : nous cherchons à résoudre des problèmes complexes dans un monde complexe et systémique par des solutions qui ne sont pas adaptées.

Parfois ça marche quand même …

Bien évidemment on peut tenter des solutions d’ajustement et trouvé que cela est suffisant pour résoudre notre problème, c’est ce qu’on fait tous généralement et tout le temps ( « mon pc plante, je vais voir la cellule IT », »le covid-19 infectent beaucoup trop de personnes et les gens meurent, je confine tout le monde » ) cependant ce sont souvent des simplifications du vrai problème qui est plus large, qui a plusieurs causes qui nous dépassent et provoquent des conséquences que nous ne comprenons pas. Pour une raison simple : le monde est un système géant dans de multiples systèmes tous interconnectés les uns aux autres et nous ne sommes pas capables d’appréhender l’ensemble comme un tout. Ces changements / simplifications sont agréables et rassurantes car elles sont économiques : une fois ces solutions trouvées nous pouvons les répéter tant que le problème réapparait.

Il faut cependant être attentif à remettre en cause régulièrement ces solutions si l’on comprends que les circonstances évoluent sans cesse en dehors de ces simplifications ce qui fera qu’un jours les solutions trouvées ne seront plus du tout adaptées.

solutions_possibles.png Ensembles finies des solutions pour traiter un problème dans un cadre de simplification

Et quand ça ne marche plus ?

Watzlawick, dans son ouvrage « changements », décrit les exemples précédents comme des changements de type 1. Ce sont des changements qui sont opérés dans un cadre et qui ne remettent pas en cause ce cadre : on conserve le système simplifié tel qu’il est et on change l’agencement des éléments qui le compose pour tenter de l’optimiser.

Lorsque les tentatives de solutions de type 1 ne fonctionnent pas ou plus, cela signifie que c’est le cadre qu’il faut remettre en cause et non plus son contenu. Watzlawick parle alors de changement de type 2. On pourrait dire qu’un changement de type 2 est un changement que l’on opère sur l’abstraction du système plutôt qu’un changement dans le système. Il y a une rupture.

changement_type2.png Changement type 1, changement type 2

Pour illustrer encore plus simplement, Watzlawick utilise le symbole du moteur et de la boite de vitesses d’une voiture : lorsque l’on veut aller plus vite, nous allons appuyer sur la pédale de l’accélérateur et effectivement la vitesse de la voiture augmente : l’appui sur la pédale correspond au changement de type 1. Lorsque l’on arrive à une certaine vitesse, l’appui sur la pédale accélérateur ne donne plus le résultat demandé et nous arrivons au bout des solutions possibles dans ce cadre : pour aller plus vite il faut utiliser le levier de boite de vitesse qui va changer le système et nous permettre d’accélérer de nouveau. Le changement de la boite de vitesses correspond au changement de type 2.

Okay sur la théorie, changement de type 2 = changer l’abstraction du cadre. Dans la vraie vie ça signifie quoi ?

Dans ces cas, il devient inutile d’utiliser les techniques traditionnelles de résolution de problème qui s’attardent sur les causes du problème (les techniques de causalités, des 5 pourquoi etc.). Chercher des solutions de cette manière, c’est exactement comme chercher toujours aux mêmes endroits les clés qu’on a perdu : il est temps de chercher là où on n’a pas l’habitude de chercher 🙂

Pour cela, nous allons nous pencher précisément sur la situation elle-même, le quoi : que se passe-t-il EXACTEMENT, puis de tenter de percevoir cette situation de manières différentes. C’est le résultat que l’on cherche à produire avec la technique du recadrage.

Le recadrage

Pour pouvoir parler du recadrage nous devons nous mettre d’accord sur certaines définitions que j’emprunte à Watzlawick. Qu’est-ce que le réel, qu’est-ce qu’une opinion.

Ici nous admettons que le réel est ce qu’un nombre suffisamment grand de personnes ont convenu d’appeler réel. (exemple : de nos jours nous sommes une majorité de personnes à considérer comme réel le fait que la terre soit ronde et qu’elle tourne autour du soleil même si une minorité pense autrement). Une opinion est le sens et la valeur que quelqu’un attribue à un objet, une situation, un fait. (exemple : un couteau peut être vu comme une arme ou un ustensile de cuisine, je peux dire que la terre est plate, que manger avec ses doigts plutôt qu’avec une fourchette et couteau c’est degueu, tout cela sont des opinions).

En conséquence, le réel est une construction de l’esprit basée sur une ou un ensemble de croyances/d’opinions sur ce que nous vivons et qui est partagé par un nombre suffisamment grand de gens et qui nous permet de vivre. N’hésitez pas à relire plusieurs fois la phrase pour être certain de bien la comprendre.

Si l’on admet ces définitions, il y a donc autant de réalités à une situation qu’il y a d’opinions concernant cette situation.

Le recadrage consiste à permettre à une personne, un groupe ou une organisation de percevoir une autre réalité que celle qu’il ou elle à l’habitude de percevoir. Soyons clairs : il s’agit pourtant des mêmes faits, choses, situations. Cependant la manière dont le réel est perçu sera différente, les limites seront donc différentes et les possibilités et les solutions seront différentes.

recadrage-1.png Principe de recadrage

C’est à ce moment que l’on peut utiliser les modèles de représentation du monde que nous avons à notre disposition en tant que coach pour permettre aux personnes, équipes ou organisations de prendre la représentation qui lui permet de trouver les solutions à son ou ses problèmes, débarrassé des limites de la représentation à laquelle ils s’attachaient jusqu’à présent.

Si l’on reprends nos cas du début (attention ce sont des interprétations, pas des vérités) :

« il y a trop de bugs pour livrer » : peut-être que l’équipe considère comme la réalité le fait qu’un logiciel se doit d’être parfait, sans aucun bug. Un recadrage pourrait être de montrer qu’un bug n’est pas un échec de développement punissable, qu’il peut s’agir d’une opportunité à traiter une incompréhension entre l’expression d’un besoin et la solution proposée et que tous les logiciels possèdent des bugs plus ou moins graves qu’il conviendra de traiter ou non.

« le collaborateur qui se renferme au conflit » : On considère que c’est le manager qui cherche à améliorer la situation. On ne cherche donc pas à faire changer le collaborateur. Un recadrage pourrait être de montrer une autre réalité au manager qui veut traiter les choses immédiatement quand elles se produisent, cette autre réalité peut être que le conflit reste présent après les faits et qu’il pourrait le traiter par d’autres manière que sa réalité : par écrit plutôt que l’oral, ou en reprenant la discussion « à froid » ou en comprenant que tout le monde ne réagit pas de la même manière aux situations qui demande une relation interpersonnelle (process com) ou à prendre conscience de la posture qu’il prend lors de conflits (on peut utiliser l’analyse transactionnelle par exemple).

Accompagner le changement

Ne reste plus ensuite qu’à accompagner les changements, Watzlawick propose ces 4 étapes :

Nous vivons dans le monde que nous croyons tel qu’il est alors qu’il n’est pas plus que le monde tel que nous le croyons. Emmanuel Kant

Référence du livre « Changements » de Watzlawick : https://www.leslibraires.fr/livre/58425-changements-paradoxes-et-psychothrapie-para–paul-watzlawick-john-h-weakland-richard-fisch-points